La Télévision a rediffusé, récemment, le film d’Alain Resnais « Mon oncle d’Amérique » datant de 1980. C’est un chef d’œuvre basé sur les théories du biologiste Henri Laborit. C’est l’occasion, pour moi, d’aborder un concept essentiel dans les interactions humaines : la fuite. 

Mon oncle d’Amérique est le seul cas de film, à ma connaissance, où s’entremêlent les théories d’un scientifique, le biologiste Henri Laborit, et une histoire et des personnages imaginés par un cinéaste.

Alain Resnais nous a habitués à ces synthèses improbables entre cinéma et variété dans « On connait la chanson », entre cinéma et bande dessinée  dans « I want to go home », entre cinéma et théâtre dans « Smoking / No smoking », etc.

Il fait encore plus fort avec « Mon oncle d’Amérique » : adapter les théories d’un grand biologiste français sans les dénaturer tout en gardant un impact narratif puissant. Preuve de l’entière caution du scientifique, il fait même de Laborit un personnage du film qui intervient tantôt en voix off, tantôt à l’écran pour développer ses théories et expliquer les comportements des personnages. 

Après avoir évoqué l’histoire, j’exposerai le modèle de biologie comportementale développé, dans le film, par Henri Laborit ; puis, comment ce modèle explique les comportements des personnages.

L’HISTOIRE 

Le film met en scène trois personnages aux destinées qui s’entrecroisent : 

– Un enfant de la grande bourgeoisie provinciale joué par Roger Pierre ;

– Un fils de paysan joué par Gérard Depardieu ;

– Une fille de militants communistes jouée par Nicole Garcia.

On est en 1980, le film parle d’une France issue de la seconde guerre mondiale qui a commencé à se disloquer dans les années 60. On a les trois principales classes sociales qui structurent, alors, notre société : la bourgeoisie, le prolétariat, la paysannerie.

Or, le film ne nous parle pas d’un affrontement de classes et n’épouse donc pas un point de vue marxiste. Il ne développe pas non plus les thèses freudiennes très en vogue à l’époque. 

Non. Le film fait porter notre regard sur les comportements individuels et leurs interactions, certes déterminés par le milieu social d’origine mais aussi et surtout par la biologie des passions humaines. 

Qu’en est-il de l’histoire ? 

Dès leurs 20 ans respectifs, les personnages rompent avec leur famille : 

Depardieu quitte la ferme familiale que son père voulait lui transmettre pour s’installer en ville et devenir ouvrier dans une usine. 

Son modèle est Jean Gabin. 

Nicole Garcia s’enfuit du domicile familial pour ne pas devenir secrétaire mais rejoindre sa troupe de théâtre qui part en tournée et accomplir ainsi sa vocation de comédienne.

Depuis l’enfance, elle s’identifie à Gérard Philippe. 

Roger Pierre quitte sa province natale, fuyant un destin tout tracé de notable rural, pour tenter Normale sup à Paris.

Il voue une passion à Danielle Darrieux dont il dit qu’elle est la seule femme à laquelle il sera toujours fidèle. 

On les retrouve quelques années plus tard.

Roger Pierre a réussi Normale sup puis l’agrégation d’histoire. Grâce aux retrouvailles avec un ancien condisciple devenu conseiller de ministre, il échappe à la condition professorale en devenant directeur de la radio publique.

Nicole Garcia est comédienne. Elle joue dans « Mlle Julie »,  une pièce à laquelle assiste Roger Pierre et sa femme. A l’issue de la pièce, Roger Pierre quitte femme et enfants pour se mettre en ménage avec Nicole Garcia. 

Gérard Depardieu sacrifiant sa vie de famille a grimpé dans la hiérarchie de son entreprise jusqu’à devenir directeur technique. Mais son entreprise fusionne avec une autre et il doit composer avec l’arrivée du directeur technique de l’autre entreprise.

La tragi-comédie de la vie peut alors se déployer sous l’œil de la caméra d’Alain Resnais et le « macroscope » du biologiste Laborit. 

Roger Pierre est viré de la radio suite à des intrigues politiques. Il est pris de violentes coliques néphrétiques que soigne Nicole Garcia. 

Jusqu’au jour, où la femme de Roger Pierre vient voir Nicole Garcia pour lui dire qu’elle a un cancer et qu’elle n’en a plus que pour quelques années. Apitoyée, Nicole Garcia trouve un prétexte pour que Roger Pierre retourne vivre chez sa femme. 

Gérard Depardieu mis en concurrence avec le directeur technique souffre d’un ulcère à l’estomac qui lui cause des crises qui inquiètent sa femme. 

Au bout de quelques mois, la direction générale lui déclare qu’elle ne peut garder deux directeurs techniques et qu’elle a choisi l’autre. Mais ne souhaitant pas le licencier, elle est prête à lui confier les clés de l’usine de Cholet à 600 km de chez lui.

La femme de Depardieu, enseignante, refuse de le suivre en lui assénant : « Mais enfin tu as été un exécutant pendant 20 ans et maintenant tu prendrais des responsabilités… ». 

Deux ans plus tard.

Nicole Garcia retrouve Roger Pierre et découvre que sa femme n’est pas morte mais en pleine forme. Celle-ci lui a menti pour récupérer son mari. 

Elle tente de le dire à Roger Pierre qui lui répond qu’il sait que sa femme s’est conduite de manière effroyable mais que c’est grâce à ça qu’il a pu écrire son livre à la suite de son éviction de son poste de directeur de la radio publique.

Gérard Depardieu est convoqué par la direction générale de Paris afin de lui signifier que sa direction de l’usine de Cholet est un fiasco mais qu’on lui propose un autre poste. Aux côtés du représentant de la direction générale, on découvre Nicole Garcia. Elle est donc devenue cadre dirigeante de la boite. 

Désavoué, Depardieu tente de se suicider. 

FIN DU FILM 

LE MODÈLE DE LABORIT

Laborit défend une thèse qu’il expose dans les toutes dernières images de « Mon oncle d’Amérique ».

Face caméra, le biologiste déclare : « Tant que ne sera pas diffusé auprès des hommes de la planète le fonctionnement du cerveau. Et tant qu’il ne sera pas dit que nos actes sont régis par la volonté de dominer l’autre, il y a peu de chance que ça change. » 

 Mais à quelle conception du cerveau se réfère-t-il ? 

 Trois cerveaux

Laborit reprend à son compte la théorie des 3 cerveaux du neurobiologiste Mac Lean : 

– le cerveau reptilien qui commande les comportements réflexes : manger, copuler, fuir devant un danger, etc.

– le cerveau mammifère où se situent la mémoire et les émotions. Sans mémoire de ce qui est agréable et ce de ce qui est désagréable, les émotions ne seraient pas possibles. Laborit va jusqu’à dire que : « l’être vivant est une mémoire qui agit »

– le cortex cérébral, lieu de la réflexion et du langage. 

Ce que dit Laborit, c’est que les deux premiers cerveaux ont un fonctionnement inconscient.

Ils sont le lieu de nos pulsions et de nos automatismes culturels

Seul le cortex cérébral a un fonctionnement conscient. Et le langage nous sert à justifier nos comportements réflexes et pulsionnels. 

Il compare l’inconscient à la mer profonde et le conscient à l’écume.  

Deux types de faisceaux nerveux : gratification et punition

 Au cours de la phase d’apprentissage de l’enfance, se développe le système nerveux de l’être humain qui sera constitué : 

– des faisceaux de la gratification quand on reçoit une récompense. Par exemple : la caresse d’une mère, des applaudissements pour un acteur, une promotion au travail, une médaille militaire, (NDR : des « likes » pour un post) etc. 

– et des faisceaux de la punition à la suite d’une erreur, d’une faute, d’un comportement non accepté socialement pour lesquels on nous réprimande. Par exemple, une retenue pour un écolier, une convocation à un entretien préalable de licenciement, toutes formes de sanction, etc.

Ces deux faisceaux relient les 3 cerveaux entre eux. 

C’est à travers ces faisceaux de la gratification et de la punition que vont se constituer nos émotions : plaisir, joie si activation des faisceaux de la gratification ; tristesse, peur, colère si activation des faisceaux de la punition. 

Quatre comportements humains principaux 

 Nos trois cerveaux et les deux faisceaux nerveux de la gratification et de la punition sont à l’origine de nos comportements.

Laborit réduit l’ensemble des comportements humains à  4 comportements principaux : 

– l’action (qu’il appelle la consommation) ;

– la fuite ;

– le combat ;

– l’inhibition de l’action.

LES COMPORTEMENTS DES PERSONNAGES A L’AUNE DU MODÈLE DE LABORIT

A la lumière de ce modèle, tous les comportements des personnages s’éclairent. 

Lors de leurs premières années, Roger Pierre, Nicole Garcia et Gérard Depardieu ont soif de vivre et d’actions. Empêchés dans leurs projets par leurs parents, ils prennent, chacun, la fuite du foyer familial.

On a les deux premiers types de comportement : l’action et la fuite quand l’action est entravée. 

De leurs actions, naissent des gratifications qui renforcent leur soif d’agir : 

– Nicole Garcia monte sur scène ;

– Depardieu, lui, monte les échelons hiérarchiques de son entreprise ; 

– Roger Pierre devient Directeur de la radio publique. 

Lorsqu’ils sont entravés dans leur action, ils pratiquent la fuite et ainsi retrouve des gratifications : 

– Nicole Garcia quitte le monde du théâtre car son metteur en scène ne veut plus la faire jouer ; 

– Roger Pierre prend la tangente du domicile conjugal après avoir rencontré Nicole Garcia et vient s’installer chez elle.

Mais bientôt, les ennuis pleuvent et la fuite ne suffit plus : 

– Depardieu perd son poste de directeur technique ; 

– Roger Pierre son poste de directeur de la radio ; 

– Nicole Garcia découvre qu’elle a été trompée par la femme de son amant, en cela qu’elle n’était pas mourante. 

Face à ces difficultés, les trois personnages auront des comportements différents. 

La fuite n’est pas permise pour Depardieu sous peine de se retrouver au chômage. L’agression non plus, sous peine de se retrouver en prison. 

L’inhibition de l’action est à son comble pour ce personnage. Apres quelques moments d’agressivité contre ses dirigeants, il finit par la retourner contre lui et tente de se suicider.

Pour Roger Pierre, la fuite est encore permise. Haut fonctionnaire, il retourne dans l’enseignement et écrit un pamphlet sur la politique de l’information en France sous tutelle politique.

Quant à Nicole Garcia, elle décide de récupérer son amant après avoir appris que la femme de ce dernier n’était pas mourante contrairement à ses dires. Elle part au combat qu’elle perd. Face au mur d’égoïsme de Roger Pierre, elle tente de le frapper et s’en suit un pugilat entre les deux anciens amants.

En définitive : 

Chacun des personnages, confronté à un empêchement de l’action, a recours soit à la fuite (Roger Pierre), soit au combat (Nicole Garcia), soit est inhibé dans son action (Depardieu). 

La seule attitude qui est efficace est la fuite. Ce n’est pas évoqué dans le film mais Henri Laborit a écrit un livre qui a eu beaucoup de succès dans les années 70 : « Éloge de la fuite ». On retrouve, donc, dans le film l’illustration de l’une des thèses la plus connue du biologiste : la fuite est le comportement le plus adéquat dans bien des situations.

EXPÉRIENCES SUR LES RATS

Pour illustrer ces comportements, Laborit nous montre un rat blanc dans une cage. Il est bien nourri et est en bonne santé.

On installe un système de décharge électrique dans une partie de la cage et une sonnerie qui prévient 15 secondes avant le rat de la décharge. Une porte ouverte le sépare de la partie de la cage non électrifiée. Après quelques bonnes décharges, le rat comprend que lorsqu’il entend la sonnerie, il doit passer dans la partie de la cage non électrifiée.

Que se passe-t-il si la porte est fermée ? Le rat est inhibé dans son action et doit subir la décharge électrique. 

Il ressent alors un stress intense. Son poil s’ébouriffe, son système nerveux s’abîme et son organismes aussi. 

Si l’on introduit un autre rat dans la cage électrifiée, le rat va se mettre à lutter contre l’autre rat. La rentabilité de ce comportement est égale à zéro puisque les deux rats continuent à subir les décharges électriques. 

Mais ils restent en bonne forme mentale et physique

CONCLUSION

Laborit a découvert que la recherche de la domination sur les autres est le comportement fondamental qu’adoptent les rats et également les êtres humains lorsqu’ils sont en situation de stress parce qu’il constitue une parade aux effets destructeurs de l’inhibition de l’action.

L’absence d’efficacité de ces rapports de domination le conduit à recommander la fuite, quand l’action est entravée. Loin d’être une lâcheté, elle représente la seule parade à l’inhibition de l’action et aux effets de domination entre individus.

Je vous propose un exemple de fuite dans la deuxième partie de ce post : Contrer une agression grâce à la dialectique

(A suivre) 

JC Heriche, Paris, le 16 octobre 2016

PS : En cette période de remise de prix Nobel, rappelons qu’Henri Laborit ne fut jamais nobélisé du fait d’intrigues dans les milieux de la recherche française qui ne lui pardonnèrent jamais sa prolifique créativité. 

Ce n’est pas un prix Nobel mais quatre que le chercheur aurait du recevoir : 

– le prix Nobel de médecine et

– le prix Nobel de chimie.

Car, Laborit fut l’inventeur des premiers psychotropes qui soulagent tant de personnes soumises au stress consécutif à l’inhibition de l’action.

– le prix Nobel de biologie et

– le prix Nobel de la paix.

Car le modèle de biologie comportementale qu’il a inventé est une avancée scientifique majeure et sa diffusion (trop restreinte à mon sens) pourrait contribuer à installer la concorde et la paix entre les hommes.

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