- janvier 1, 2018
- |Développement personnel, Les livres de ma vie
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J’ai relu ce week-end L’étranger de Camus (plus précisément le 5ème chapitre) et j’y ai vu le vade-mecum ultime de la conquête du bonheur.
(10 mn de lecture)
Peut-on être heureux ?
Posez la question ainsi, n’importe qui vous répondra OUI.
Si je vous la pose à vous, je ne doute pas que vous me répondiez OUI, également.
Pourquoi ?
Je vois deux raisons :
1/ Vous êtes actuellement heureux. Et donc, le bonheur est possible puisque vous le vivez.
2/ Vous êtes malheureux en ce moment. Mais, vous avez connu le bonheur et il vous semble encore accessible, envisageable et donc possible.
Par conséquent, OUI, on peut être heureux.
Dans le premier cas, le bonheur se conjugue au présent. Dans le second, au futur.
On appelle cela l’espoir et comme on sait l’espoir fait vivre quand bien même il nous faudrait avoir recours à un espoir adapté. (J’en parlais ici)
Maintenant, si je pose la question : Peut-on être heureux alors que la vie n’a pas de sens ?
La réponse devient plus complexe. Elle est même, plus surement, NON.
En effet, comment pourrait-on être heureux quand les choses, les êtres, la vie n’ont pas de sens ?
La preuve en est que je reçois toutes les semaines des clients qui m’expriment le sentiment de perte de sens dans leur travail. Et l’insatisfaction que cela leur procure, le mal-être dans lequel, cela les plonge.
Alors que faire ?
Camus : philosophe du bonheur
Commencer par lire ou relire l’Etranger de Camus : une partie de la solution au problème du bonheur dans un monde sans sens, un monde absurde, s’y trouve.
Cela vous semble étrange que dans L’étranger se trouve une réponse à la question du bonheur, n’est-ce pas ?
Vous avez lu ou plutôt on vous a fait lire l’étranger en classe de 1ère et ce n’est pas le thème du bonheur qui vous avait sauté aux yeux. C’est plutôt celui de l’absurde dont vous avait rabâché les oreilles votre professeur de Français.
Pourtant, la question du bonheur dans un monde absurde s’y trouve bel et bien traitée au chapitre 5 et dernier du livre.
A la toute dernière page, Meursault dit même explicitement :
« J’ai senti que j’avais été heureux et que je l’étais encore. »
Comment peut-il prononcer ces mots alors qu’il a été condamné à mort et qu’il vit possiblement ses derniers instants ?
(Il a fait un pourvoi et est dans l’attente de son acceptation ou de son rejet. Meursault sera-t-il guillotiné ou non ? Le roman se termine sans que l’on sache.)
C’est qu’entre le moment de sa condamnation à mort et sa possible exécution, Meursault s’est ouvert pour la première fois
« à la tendre indifférence du monde. »
Notez cet oxymore génial de Camus : « Tendre indifférence » !
Comment le monde pourrait-il être indiffèrent (à notre sort) et tendre (avec nous) ?
En associant ces deux termes, Camus réunit l’absurde (Le monde est indifférent) et l’amour (et pourtant, il est tendre).
Comment Meursault en est-il arrivé à ce sentiment de bonheur alors que depuis le début du roman, il semble étranger au monde (d’où le titre du livre) ?
Alors que tous les événements les plus heureux comme les plus malheureux glissent sur lui comme sur les plumes d’un canard ?
La mort de sa mère, l’amour que lui porte Marie son amante, l’arabe qu’il tue de 5 coups de revolver, le procès qui s’en suit et sa condamnation à mort.
Le chapitre 5 de l’étranger est la description de cette lente conquête du bonheur par le héros du livre de Camus.
Et celle-ci passe par le développement de sa vie intérieure comme vous allez le découvrir dans les lignes qui suivent.
L’empire des sens
Alors que son exécution peut avoir lieu à tout moment, il devient vigilant à tout ce qui l’entoure, au moindre bruit.
Commence alors pour Meursault une lente réappropriation de l’usage de ses sens.
Car, comment la vie pourrait-elle avoir un sens si nos propres sens sont anesthésiés ?
Pour Meursault, c’est à l’aube que démarre l’afflux des sensations :
« C’est à l’aube qu’ils venaient, je le savais. En somme, j’ai occupé mes nuits à attendre cette aube. (…) Jamais mon oreille n’avait perçu tant de bruits, distingués de sons si ténus. »
Déjà, lorsqu’on l’avait changé de cellule, il s’était aperçu :
« Lorsque je suis allongé, je vois le ciel et je ne vois que lui. Toutes mes journées se passent à regarder sur son visage le déclin des couleurs qui conduit le jour à la nuit. »
Notez à la volée, la métaphore : le ciel est un visage !
Autre passage :
« Je m’étendais, je regardais le ciel, je m’efforçais de m’y intéresser. Il devenait vert, c’était le soir. Je faisais encore un effort pour détourner le cours de mes pensées. J’écoutais mon cœur. »
« J’écoutais mon cœur » … On se croirait dans un CD de Christophe André sur la médiation en pleine conscience !!!
Et encore :
« Je finissais par me dire que le plus raisonnable était de ne pas me contraindre.«
Meursault vient d’inventer le LÂCHER-PRISE. Véridique !!! Phénoménal !!! Lucchini lirait ça, il dirait : « C’est énorme ! »
L’épiphanie des sens se finit même en apothéose pour Meursault. Juste après sa colère contre l’aumônier, il retrouve le calme, s’endort et se réveille :
« avec des étoiles sur le visage. Des bruits de campagne montaient jusqu’à moi. Des odeurs de nuit, de terre et de sel rafraîchissaient mes tempes. La merveilleuse paix de cet été endormi entrait en moi comme une marée. »
La vue, l’ouïe, l’odorat, la kinesthésie : 4 de nos 5 sens réunis en une seule phrase. Camus ne lésine pas sur les moyens !
C’est tout de suite après que Meursault s’affirmera heureux.
Mais l’empire des sens ne suffit pas à la reconquête du bonheur.
L’imaginaire
L’imagination y prend aussi sa part :
« Les journaux parlaient souvent d’une dette qui était due à la société. Il fallait, selon eux, la payer. Mais cela ne parle pas à l’imagination. Ce qui comptait, c’était une possibilité d’évasion, un saut hors du rite implacable, une course à la folie qui offrit toutes les chances de l’espoir. Naturellement, l’espoir, c’était d’être abattu au coin d’une rue, en pleine course, et d’une balle à la volée. »
Plus loin, il s’imagine assister à une exécution capitale :
« à l’idée de me voir libre par un petit matin derrière un cordon d’agents, de l’autre côté en quelque sorte, à l’idée d’être le spectateur qui vient voir et qui pourra vomir après, un flot de joie empoisonnée me montait au cœur. »
Un flot de joie empoisonnée … vous avez bien lu !
Ou bien, il se voit législateur :
« D’autres fois, par exemple, je faisais des projets de loi. Je réformais les pénalités. J’avais remarqué que l’essentiel était de donner une chance au condamné. »
Puis, il spécule sur l’échec de son pourvoi :
« Je prenais toujours la plus mauvaise supposition : mon pourvoi était rejeté. « Eh bien, je mourrai donc. « »
ou sa réussite :
« je me donnais en quelque sorte la permission d’aborder la deuxième hypothèse : j’étais gracié. L’ennuyeux, c’est qu’il fallait rendre moins fougueux cet élan du sang et du corps qui me piquait les yeux d’une joie insensée. »
Une joie insensée … vous avez bien lu … après une joie empoisonnée, une joie insensée !!!
Pour quelqu’un qui ne ressent rien … Je connais plus insensible que ça !
C’est qu’en « absurdie », l’abstraction ne rend pas heureux. Mais l’imaginaire, si.
Comme dit l’Alice de Lewis Caroll (et nous sommes en plein dans notre sujet) :
« Mais alors, si le monde n’a absolument aucun sens, qui nous empêche d’en inventer un ? »
Vous n’avez, cependant, encore rien vu !
La farandole des souvenirs
Car bientôt, ce sont les souvenirs qui rappliquent.
D’abord, ce que lui disait sa mère :
« Maman disait souvent qu’on n’est jamais tout à fait malheureux. Je l’approuvais dans ma prison quand le ciel se colorait et qu’un nouveau jour glissait dans ma cellule. »
Puis son amante :
« Pour la première fois depuis bien longtemps, j’ai pensé à Marie. »
Enfin, sa mère, à l’enterrement de laquelle il n’avait pas pleuré (Rappelez-vous la 1ère phrase du livre : « Aujourd’hui, maman est morte. ») :
« Pour la première fois depuis bien longtemps, j’ai pensé à maman. Il m’a semblé que je comprenais pourquoi à la fin d’une vie elle avait pris un « fiancé ». »
Et avec la farandole des souvenirs, les émotions.
La lente ascension des émotions
Aux souvenirs se mêlent pour la première fois dans le cœur de Meursault, des émotions, de vraies belles émotions.
(Si un spécialiste des neurosciences me lit, cela ne l’étonnera pas : émotions et souvenirs trouvent leur source au même endroit, dans le cerveau limbique.)
La peur, d’abord qu’il exprime à l’aumônier venu le visiter :
« Je lui ai expliqué que je n’étais pas désespéré. J’avais seulement peur. C’est bien naturel. »
Puis la colère contre cet aumônier qui insiste pour qu’il se repente. Mais Meursault n’a que faire des secours de la religion. Il ne croit pas en la vie éternelle :
« Il voulait savoir comment je voyais cette autre vie. Alors, je lui ai crié : « Une vie où je pourrais me souvenir de celle-ci », et aussitôt je lui ai dit que j’en avais assez. »
L’aumônier veut encore lui parler de Dieu et de son « cœur aveugle » à lui Meursault :
« Alors, je ne sais pas pourquoi, il y a quelque chose qui a crevé en moi. Je me suis mis à crier à plein gosier et je l’ai insulté et je lui ai dit de ne pas prier. Je l’avais pris par le collet de sa soutane. Je déversais sur lui tout le fond de mon cœur avec des bondissements de mêlés de joie et de colère. »
La joie, de nouveau ! Après la joie empoisonnée et la joie insensée : la joie mêlée à la colère !
Alléluia ! C’en est fait !
Meursault a réintégré la communauté des hommes !
Les sens, les souvenirs, l’imagination et, maintenant, les émotions. Les 4 meilleurs amis de l’être humain sont, enfin, apparus dans le cœur, la tête et le corps de Meursault.
Il peut accéder au bonheur !
On ne saurait trop rappeler l’importance de la colère dans l’accès au bonheur. Notre époque qui hait la colère et l’a remplacée par une tristesse feinte se prive d’un des meilleurs moyens d’accéder au bonheur. J’en reparlerai dans un futur article.
En conclusion, Camus nous indique, dans ce 5ème chapitre de L’étranger, le chemin du bonheur :
1/ vivre en usant de ses sens et, donc, vivre intensément ;
2/ ressentir pleinement toutes ses émotions qu’elles soient de joie, de tristesse, de peur ou de colère ;
3/ se faire des souvenirs de toutes ses sensations et émotions accumulées ;
4/ développer un imaginaire riche.
NB : Alors que je relisais le 5ème chapitre de l’étranger, je tombe sur un tweet d’Edgard Morin reprenant les derniers mots qu’aurait prononcés Steve Job avant de mourir.
« La recherche illimitée de la richesse ne fera que transformer une personne en un être tordu comme moi. Dieu nous a donné l’intelligence pour ressentir la présence de l’amour dans le cœur de chacun, et non les illusions provoquées par la richesse. »
Hormis la croyance en Dieu qui différencie Meursault et Steve Job, les deux ont attendu leur condamnation à mort (la guillotine pour l’un, le cancer pour l’autre) pour ressentir, le premier, les émotions ; le second, « la présence de l’amour ».
Alors je pose cette question : « Faut-il attendre d’être condamné à mort pour découvrir le sens de la vie qui se trouve dans l’amour et dans les émotions ? »
Comme le chantait l’un de mes autres philosophes favoris, Valéry, pas Paul mais François : ♪♫ « Aimons-nous vivants / N’attendons pas que la mort nous trouve du talent « ♫♬
JC Heriche , le 1er Janvier 2018
PS : J’ai une dette envers Agnès Spiquel que je remercie ici. Les 15 premières minutes de sa conférence consacrée à L’étranger m’ont mises sur le chemin de la relecture du chapitre 5 à la lumière de l’idée du bonheur. En voici la vidéo pour ceux que ça intéresse : L’étranger par Agnès Spiquel.
PSS : Une prochaine fois, j’évoquerai la question de la révolte.
La révolte est l’autre grand thème de l’œuvre de Camus. La révolte m’intéresse car j’y vois, le moyen d’échapper à la victimisation ambiante dont se repaît notre époque.
PSSS: TRÈS BONNE ANNÉE 2018 et rappelez-vous : ♫♬ Aimons-nous vivants ! ♪♫
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ANNO
janvier 1, 2018 at 23:30Je pense que Meursault a ressenti une infinie tristesse à la mort de sa mère et a très certainement pleuré à ce moment-là mais seul. Mais il n’a pas voulu le faire lors de l’enterrement car il ne voulait pas se montrer. Il était pudique et distant. Il s’est fermé aux autres et a tué. Mais c’était lui qu’il tuait pour ne pas être comme les autres, ne pas arriver à s’extérioriser. Une phobie sociale non diagnostiquée. En prison, par un cheminement intérieur, il est ressorti de sa coquille et vivre le moment présent dans toute sa splendeur. Il a réappris à vivre comme un bébé.
Cela fait aussi penser à Un Roi sans Divertissement ou la fascination morbide du sang sur la neige, du clinquant de la messe sur un serial killer avant l’heure.