J’ai revu hier soir « Les choses de la vie » de Claude Sautet. La beauté de Léa Massari et de Romy Schneider, les tourments de cœur de Michel Picolli, Bobby Lapointe dans le rôle du camionneur fautif, l’histoire qui entremêle vie professionnelle intense et vie privée passionnée …

Je ne me lasse jamais de revoir les films de Claude Sautet. En plus d’être un immense cinéaste et un grand directeur d’acteur, il a une qualité rare : apporter un témoignage vivant sur son époque.

Le film « Les choses de la vie » est un document sociologique hors pair sur la fin des années 60 et le début des années 70 comme jamais la sociologie n’aurait été capable d’en produire.

L’histoire est celle d’un architecte, la quarantaine épanouie, joué par Michel Picolli, qui a un accident de voiture et qui, dans un état semi-comateux, revoit les principales images de sa vie.

Il revoit sa nouvelle compagne Hélène (Romy Schneider), écrivaine, dont il ne sait s’il l’aime encore.

Il revoit son épouse Catherine (Lea Massari), architecte comme lui, avec qui il a eu un fils devenu majeur qui construit et vend des circuits électriques.

Il revoit son meilleur pote, joué par Jean Bouise, qui lui voue une admiration sans borne.

Il revoit son père, vieillard impécunieux, mais toujours tiré à 4 épingles.

Il revoit sa maison de l’île de Ré et son voilier.

A l’orée de la décennie 70, les choses de la vie sont si différentes d’aujourd’hui que l’on a peine à croire que seulement 40 ans, nous en séparent.

En 1970, on fume du matin au soir. On a en permanence une clope au bec. On fume français. Des « Celtiques ». La SEITA est encore un monopole d’état. On ne connait pas les campagnes de lutte contre le tabagisme, le paquet à 7 euros ni les emballages neutres ou effrayants.

Les vieux n’ont pas d’argent en 1970. Le père de Picolli vient lui emprunter 120 francs. Ce sont les enfants qui prêtent aux parents. 40 ans plus tard, les choses de la vie se sont inversées : les retraités ont un niveau de vie supérieur aux actifs. Et, les parents subventionnent les enfants durant leurs études, voire à vie.

On pique de vraies et saines colères en 70. Michel Picolli se met en rage lorsqu’il apprend que le promoteur a décidé de construire des box de parking à la place des jardins qu’il a prévus. Aujourd’hui, les classes moyennes éduquées ne supportent plus le moindre haussement de décibels. Un syndicaliste comme Philippe Martinez l’a bien compris lui qui ne hausse jamais la voix dans les débats. En revanche, ce calme olympien manque à Jean-Luc Melenchon et beaucoup de lui reprocher son agressivité.

On a de vraies histoires de cœur en 1970. Les hommes sont virils (la chemise ouverte sur le torse velu de Picolli), les femmes assument une féminité pleine et entière qui n’est jamais vulgaire. L’époque actuelle est à l’indistinction des sexes. On dit indifféremment d’une femme ou d’un homme qu’elle est ou qu’il est sexy, mot qui gomme les différences de genre.

On meurt dans des accidents de voiture en 1970. Et on en meurt souvent. C’est la première cause de mortalité non-naturelle avec plus de 10 000 morts sur les routes par an. Ce chiffre va perdurer jusqu’à ce que le président Chirac décrète la sécurité routière « Grande cause nationale » qui a fait reculer la mortalité sur les routes à quelques 3 000 automobilistes par an.

Le chômage est inexistant en 1970. Trois ans plus tôt l’Anpe a bien été créée par un secrétaire d’état au travail, le déjà-nommé Jacques Chirac, mais c’est une agence de placement qui concerne tout au plus 500 000 personnes.

Tout ce monde va s’écrouler en 1973 avec le 1er choc pétrolier, accentué par le deuxième choc pétrolier de 1979.

Le tournant néo-libéral de l’année 1984 (comme le roman éponyme de Georges Orwell) impulsé par le gouvernement Mitterrand-Fabius va déréguler la finance et intégrer plus profondément la France dans la mondialisation et dans ce qui va devenir l’Union Européenne en instaurant la totale liberté de circulation des biens, des capitaux et des personnes sur le continent.

Les gouvernements de gauche comme de droite qui vont se succéder ensuite ne dérogeront pas à la doxa néo-libérale.

Le chômage de masse s’installe en France pour ne plus jamais disparaître.

Le triumvirat Bourgeoisie-Ouvriers-Paysans qui structure la France jusque dans les années 60 va laisser la place à quatre classes sociales :

– les « mondialisés » qui profitent de la mondialisation de l’économie

– les « administrés » qui travaillent dans la fonction publique ou dans des administrations privées (associations, etc.)

– les « précarisés » allant de CDD en missions d’intérim

– les « exclus » dont l’éloignement du marché du travail les cantonnent à vivre des allocations.

Le CDI est devenu le saint-Graal pour des millions de Français. La peur du déclassement s’est installée, inhibant toute réflexion et toute action.

Oui. Décidément. L’année 1970 est définitivement morte.

JC HERICHE, le 11 décembre 2016

(A suivre)

PS : « Les choses de la vie » ne serait pas « Les choses de la vie » s’il n’y avait la formidable chanson d’Hélène :

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