Si vous n’avez pas encore vu Toni Erdmann, courez-y ! Ce film nous parle de ce que nous sommes tous devenus, trente après la révolution néoliberale Reagano-Tatchérienne.

Vous savez, sans doute, que les festivaliers à Cannes lui ont fait un triomphe mais qu’il n’a reçu aucun prix, hormis la « palme » du public et de la critique.

L’histoire est simple.

A la mort de son chien, un père tente de renouer avec sa fille. Celle-ci est consultante en stratégie dans un cabinet-conseil dont elle guigne le poste d’associée. Pour cela, il lui faut faire ses preuves lors d’une restructuration d’entreprises en Roumanie. Son père, éternel provocateur, blagueur à jet continu, la rejoint à l’improviste. Dans la première partie du film, il l’a met dans l’embarras à plusieurs reprises devant ses collègues et ses clients. Et ne se prive pas de la juger sur sa vie avec des questions comme « Est-ce que tu es heureuse ? » ou « Est-ce que tu es humaine ?« .

Elle finit par le virer de chez elle. Mais il réapparaît sous une identité d’emprunt : Toni Erdmann, patron, consultant et coach, nanti de fausses dents grotesques et d’une perruque ridicule. Bien décidé à montrer à sa fille ce qu’il pense être le chemin vers le bonheur, il s’immisce dans sa vie pro et personnelle.

Les pitreries du père donne un film hilarant. Et l’impossible relation entre le père et sa fille le rend extrêmement touchant.

Tout cela, vous le savez si vous avez lu les critiques ou vu le film ou des extraits.

Ce qui m’a frappé dans Toni Erdmann, c’est la parenté de l’histoire avec celle des Virtuoses, grand succès des années 90.

L’histoire est semblable : celle d’une jeune cadre perdue dans l’enfer capitaliste.
L’histoire est proche, sur fond de mines de charbon dans Les virtuoses et de champs pétrolifères dans Toni Erdmann, mais le monde a changé et, surtout, nous avons changé.

Le film Les virtuoses était une critique acerbe du néoliberalisme tatchérien. Avec Toni Erdmann, la dénonciation a laissé la place à la farce, semblant donner raison à Marx : « L’histoire se répète toujours deux fois, la première fois comme une tragédie, la deuxième fois comme une comédie ». Nous ne sommes pas dans un drame social à la Ken Loach. Les ouvriers du champ pétrolifère roumain, que l’on découvre au détour d’une scène, vont se retrouver sur le carreau à cause du plan de restructuration que prépare la fille. Ce n’est pas le problème de la réalisatrice. Seul compte pour elle, le rétablissement de la communication entre un père rebelle aux conventions et sa fille travaillomane totalement intégrée au système.

Au delà de ses qualités formelles, ce film prend acte d’un fait essentiel à mes yeux : nous sommes tous devenus libéraux, quelle que soit l’idéologie dont nous nous revendiquons, comme le souligne Marcel Gauchet dans « Comprendre le malheur français ». Dans ce livre, il rappelle les trois idéologies constitutives de la pensée politique de chacun d’entre nous depuis deux siècles : le conservatisme, le libéralisme, le socialisme.

Deux idéologies sont bien apparues à la fin du 19 ème : le révolutionnarisme et le nationalisme. Mais leur durée de vie n’a pas été au delà du siècle puisqu’elles ont sombré dans les années 1970-80.

Depuis 30 ans, est apparue une extrémisation du libéralisme appelée selon les cas : néoliberalisme ou ultra-libéralisme. Il a pour caractéristique de prôner une économie transfrontalière et un Etat toujours plus restreint dans un but unique : l’extension sans limite du consumérisme.

Bien que critiqué, ce néoliberalisme est plus fort que jamais et nous a tous transformé en libéraux : nous achetons tous des jeans venant du Bangladesh, des smartphones construits en Chine, parfois par des enfants, à partir de métaux rares issus de l’exploitation du sous-sol africain et d’enfants, également parfois.

C’est de notre soumission au libéralisme dont témoigne le film Toni Erdmann.

Vous ne me croyez pas ?

Rappelez-vous Les Virtuoses.A la fin du film, la fille démissionnait de son poste de consultante en restructurations et licenciements pour rejoindre sa communauté de mineurs.

Rien de tout ça dans Toni Erdmann. L’héroïne du film poursuit son chemin dans le conseil en stratégie. Elle a, certes, quitté son cabinet mais pour se faire embaucher par le cabinet Mac Kinsey pour une mission de deux ans à Singapour.

Je vous avais dit que ce film nous parlait de nous. De ce que nous étions tous devenus.

Jean-Christophe Hériche 

(A suivre)

PS : Un personnage est particulièrement drôle et attachant dans le film : l’assistante de la fille, une jeune roumaine, archétype de la jeunesse actuelle, ultra-formée, multilingue et totalement internationalisée.

Au début du film, le père demande à l’assistante si cela se passe bien avec sa fille. La jeune roumaine lui répond « que sa patronne est très sincère avec elle et lui fait beaucoup de feed-back sur sa performance« .

« – Qu’est ce que c’est que la performance ?  »

« – C’est expliquer au client ce qu’il veut. » (sic)

Dans la scène finale, alors que sa patronne organise une « party à poil »pour ressouder l’esprit d’équipe, son assistante lui demande ingénument : « C’est un nouveau challenge ? »

Ite missa est

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